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Une aidante parle avec son père atteint d'Alzheimertemoignage

Deuil blanc : "mon père était le même physiquement, mais sa tête partait progressivement"

Publié le 22/11/2022 - par Bénédicte Demmer | 6 min de lecture

Aude revient sur sa difficulté à faire le deuil de la disparition progressive de la personnalité de son père, atteint d’Alzheimer, à cause d’un ballotement constant entre pertes de mémoire et retours brefs de lucidité.  

Le deuil blanc, c’est avoir une personne qui est toujours la même devant vous en apparence, mais dont la tête s’en va progressivement. Mon père était un marin. Il parlait beaucoup de ses escales et ses navigations. À un moment, lui qui disait toujours avoir un GPS dans la tête, n’arrivait plus à se repérer. J’ai immédiatement pensé qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. À partir de ce point de départ, la maladie d’Alzheimer a fait tomber petit à petit tous les attributs qui faisaient de lui l’homme qu’il était. Cet homme très cultivé, avec une certaine prestance et un sens de l’orientation sans pareil, est devenu complètement perdu, déboussolé dans l’espace et dans le temps.  

Chaque incohérence chronologique était comme un coup de poignard

Au début, la maladie s’est manifestée par des petites pertes. Chaque incohérence chronologique ou narrative, chaque oubli était pour moi comme un coup de poignard dans le cœur. Mais malgré tout, il y avait toujours une étincelle, un retour de ses souvenirs de temps en temps où il évoquait ses voyages et son travail. Une balance constante où je voyais mon père disparaître, puis revenir. À chaque éclair de lucidité, on reconnait son proche, on se dit, oui, c'est bien lui, il reste quelque chose. C’est à la fois douloureux et merveilleux à vivre, parce qu’on retrouve l’autre, puis on le perd ensuite à nouveau. On ne peut jamais vraiment se faire une raison sur l’avancée de la maladie.

Chacun de ses retours était toujours autour des mêmes thématiques : le voyage, l’aéroport ou le départ. Quand je venais le voir à la maison de retraite en hiver, le temps lui faisait penser au Canada. Il me disait toujours : "Est-ce que tu as des dollars ? Et ton visa ? Est-ce que ta mère a préparé les valises ?". Il avait disparu en tant qu’être raisonné, mais il arrivait à reconstituer son identité d’homme lié à son métier à travers des souvenirs de voyage.

Pour préserver sa relation, il faut essayer de jouer le jeu comme avec un enfant

C’était douloureux à voir, mais parfois aussi drôle. On se retrouve parfois dans ses situations cocasses. À la maison de retraite, par exemple, il se croyait parfois au centre de vaccination d’Air France, à la cantine, il pensait être avec ses collègues de la marine marchande. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que j’ai fait l’erreur de ne pas complètement entrer dans ces situations. J’essayais absolument de le raisonner. S’il me disait "tu es venue en quadrimoteur ?", je répondais que non j’étais venue à pied. S’il me demandait comment était le temps à Nice, je m’évertuais à lui dire que nous étions à Paris.

Je pense que pour préserver la relation avec un proche malade, et l’entretenir, il faut essayer de jouer le jeu un peu comme avec un enfant. Je regrette aujourd’hui de ne pas l’avoir fait suffisamment. Mais sur l’instant, c'était difficile, car c’était admettre que la maladie prenait le dessus. Je n’avais pas compris que c’était une façon pour lui de se raccrocher aux seuls souvenirs qu’il avait pour que tout cela soit moins douloureux.

Le deuil blanc, c’est aussi accepter les rôles qui se décomposent

Finalement, c'était presque plus dur pour moi aussi. Parce qu’inconsciemment, vous voulez rester à votre place d’enfant et c’était compliqué d’abandonner ce rôle et de le recadrer. Les rôles qui se décomposent et se mélangent font également partie de ce deuil qui arrive progressivement.

Pour garder une trace de tout ça, j’ai décidé d’écrire un livre. J’ai voulu raconter tout ce que nous avons vécu, à travers les souvenirs de ses voyages marins, pour retracer les pertes qu’il subissait jour après jour. J’ai essayé de recoller les souvenirs, comme une archéologue, et le narrer de manière poétique, pour qu’il reste quelque chose de notre histoire, quelque chose de beau. Je crois que chacun peut essayer de s’approprier ces moments douloureux et de les tourner de manière plus positive. Mais ça n’est pas facile du tout.

Aude Ceccarelli, ancienne aidante de son père et auteure du livre « Sans Boussole, traversée en Alzheimerland », un témoignage de 164 pages, disponible sur Amazon.

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Passer du temps plaisant avec son proche en l’intégrant à une activité que vous vous aimez, comme la marche par exemple. Moi, j’ai passé trop de temps sur les tâches administratives et je le regrette. Tout ce que votre proche cherche, c’est de la sociabilité.  

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Ici, Ma Boussole Aidants prend un parti assez différent : celui de s’attacher à ce qu’il est possible de faire, pour s’organiser et fonctionner au quotidien avec son proche, pour se comprendre et communiquer. Les déficiences sont un fait, mais leurs conséquences peuvent parfois être atténuées par de petites stratégies notamment en lien avec l’environnement matériel et social.

Tout en gardant à l’esprit que les situations sont très différentes d’une personne à l’autre, et qu’il n’y a pas une seule bonne façon de faire, Ma Boussole vous propose ici des articles et des témoignages pour vous aider à mieux comprendre ce qui se joue à différents moments clé généralement rencontrés quand on accompagne un proche malade ou en situation de handicap. Quand c’est le cas, ils pourront aussi vous aiguiller sur ces comportements au quotidien qui peuvent faciliter certaines situations.