Il est difficile pour un aidant d’accepter de déléguer l’accompagnement de son proche. Mais trouver du répit est nécessaire pour éviter l’épuisement et préserver votre relation que cette responsabilité peut rapidement altérer.
“L’accompagnement c’est un long marathon. Un aidant est comme un sportif de haut niveau. Pour que cette mission n’abîme pas sa santé, il faudrait qu’on lui prodigue des soins réguliers pour qu’il tienne la charge.” Ce rôle qu’elle qualifie de “titan”, Céline Martinez, en a parfaitement conscience en tant que maman d’un enfant atteint d’un handicap mental. Psychologue clinicienne, de formation, elle sait également à quel point les aidants n’y sont pas préparés et manquent d’accompagnement.
Assurer le soutien psychologique pour son proche, organiser les finances et les rendez-vous médicaux, gérer les aides à domicile, payer les factures ... Etre aidant est un quotidien stressant et épuisant, et bien trop souvent, on ne s’en rend compte que lorsqu’il est trop tard et que le physique et/ou le mental craquent. On ne s’autorise pas à souffler, ni à relayer l’aide à quelqu’un de l’extérieur parce qu’on a le sentiment d’abandonner son proche, de manquer à son devoir ou de ne pas faire assez pour assurer son bien-être.
“Et pourtant, il faudrait prendre le problème à l’envers, nous explique la psychologue. Comprendre que si on veut prendre correctement soin de son proche, plus longtemps et sans agressivité à cause de la fatigue et du stress, il faut prendre soin de soi et se reposer aussi.”
L’intérêt de prendre du répit
Prévenir les problèmes de santé
Au cours d’une étude de la DREES*, menée en 2008, 48% des aidants interrogés ont déclaré être atteints d’une maladie chronique, 29% ont admis être anxieux et stressés et 25% en détresse physique et morale. “Les aidants se retrouvent rapidement dans une mécanique de faire. Ils font de plus en plus pour compenser les manques de la perte d’autonomie ou du handicap pour que la vie continue de se faire. Et au bout d’un moment, on est avalé par ce rythme chronique, régulier et énergivore”, explique la psychologue. Cette fatigue physique et mentale engendre des problèmes de santé à tel point que le baromètre "Ocirp 2016, âge et autonomie", rapporte que 60% des aidants sont exposés à un risque de surmortalité après le diagnostic de leur proche et un tiers d’entre-eux décède avant leur aidé. “Les aidants dorment aussi très mal, ils mangent mal et ne s’aèrent pas, explique notre interlocutrice. Ils deviennent en mauvais état de santé général et développent des maladies chroniques ou cardiovasculaires. La fracture de fatigue est aussi très répandue. Quand on porte un proche qui ne peut pas se déplacer tout seul, par exemple, ou quand il faut maîtriser une personne avec un trouble du comportement en pleine crise et qu’on n’a plus l’énergie, c’est l’accident assuré.”
Eviter le burn-out
Aidant de son épouse atteinte d’une maladie respiratoire sévère, Guy a longtemps refusé l’aide de ses proches en pensant bien faire pour les épargner. Mais rapidement, il s’est épuisé au point de faire un burn-out total. Mettre en place des aides à domicile, n’est pas suffisant, l’organisation du défilé de toutes ces personnes chez vous, mêlé à l’inquiétude et au manque de sommeil, risquent de vous conduire à l’implosion. “Ça s‘est passé du jour au lendemain. Je ne voulais plus faire quoi ce que ce soit, ni en entendre parler. Quand les autres ont pris le relais, j’étais si fatigué que je n’ai fait que dormir”, nous a-t-il confié avant d’expliquer comment cette situation à engendrer tout ce qu’il avait cherché à éviter.
Préserver la relation avec son proche
On ne peut pas accumuler autant de stress nuit et jour sans que la nervosité et la tolérance à la patience ne soient affectées. “Comme beaucoup d’aidants, avec la fatigue, on me disait un mot de travers et ça partait tout de suite en crise de nerfs”, nous a confié Guy avant d’ajouter avoir été très dur avec sa femme et vice versa. “Les violences entre aidants et aidés sont aussi quelque chose dont on ne parle pas assez, prévient Céline Martinez, psychologue. Et pourtant elles existent ! A force de fatigue, on peut devenir maltraitant avec son proche. L’inverse existe aussi. Chez les patients atteints d’Alzheimer ou de maladies entraînant des troubles du comportement, la violence est présente. En tant que maman d’un enfant atteint de handicap mental, je suis régulièrement frappée par lui. Grâce à mon expérience professionnelle, et certaines formations, j’ai appris à me maîtriser et rester patiente, mais il est tout à fait humain d’être en colère pour ça.” Relayer l’accompagnement à quelqu’un d’autre pour plusieurs jours ou partir en séjour de répit, aide à se ressourcer, à retrouver du plaisir et garder la force de continuer. C’est également l’opportunité de retrouver le lien initial avec son proche et redevenir tout simplement la fille, l’époux, le père ou la mère de ce dernier.
Se retrouver soi-même
“Trouver les différentes structures sur internet, prendre des rendez-vous et s’occuper de son parent âgé, vous laisse peu de temps pour vous occuper d’autre chose. J’ai dû laisser tomber mon travail et mon mari s’est occupé des enfants. Je me suis demandée ce que j’étais dans tout ça, quelles étaient mes perspectives et elles n’avaient rien de plaisantes. On en devient nerveux et agressif même parfois, parce qu’on n’est pas satisfait de sa situation, ni de celle de son proche”, nous a confié Aude, ancienne aidante de son père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Se promener dans un parc, aller au cinéma, boire un verre avec des amis... “Lorsqu’on est aidant, on vit tellement pour l’autre qu’on ne s’appartient plus, on n’oublie ce qu’on était avant. Prendre du répit, c’est l’occasion de vous demander ce que vous êtes, ce que vous aimez et tenter de le retrouver”, précisent la psychologue. Ces petites choses sont loin d’être futiles, elles rechargent vos batteries.
Favoriser l’autonomie du proche
Avec l’inquiétude des conséquences du handicap, de la maladie ou du rejet des autres on a tendance à surprotéger la personne que l’on accompagne. Même si c’est par amour, cela peut favoriser la perte d’autonomie chez une personne âgée ou malade ou freiner son apprentissage chez un enfant handicapé. Véronique, aidante de son mari, atteint de la maladie de Parkinson, admet avoir tendance : “à faire à sa place lorsque je le vois en difficulté ou qu’il est trop lent, cela a pu entrainer un certain confort chez lui et un manque de stimulation.” “Dans le cas d’un parent d’enfant handicapé, ajoute la psychologue spécialisée handicap, il faut se dire que plus on est capable de laisser son enfant évoluer dans un autre univers, plus il gagne en identité et en autonomie pour plus tard.”
Les principaux freins au répit
Des aidants qui s’ignorent
Beaucoup d’aidants ne savent pas qu’ils le sont. Au début, on aide un petit peu, pour une chose puis une autre. C’est normal de le faire pour son père malade ou sa fille handicapée. Puis, petit à petit, il faut faire de plus en plus de choses et on devient vite submergé, sans s’en rendre compte, par un système qui ne dépend que de nous. Et si on lâche ? L’autre s’effondre. Lorsque l’accompagnement prend plusieurs jours par semaine, il est important d’avoir conscience du rôle qu’on endosse, car le statut d’aidant permet de s’ouvrir à toutes les aides et solutions qui s’y rapportent.
Le manque d’information
“Personne ne vient nous chercher. C’est à nous de chercher de l’aide vers l’extérieur, explique Céline Martinez. Quand un diagnostic tombe tout est principalement tourné vers le patient. On lui explique où aller pour les examens, le repos à prendre et quels spécialistes aller voir." Concernant l’aidant, les médecins ne sont pas formés pour les guider malgré que certains se débrouillent pour les aiguiller comme ils peuvent. Il n’y a pas d’interlocuteur dédié pour informer les aidants des différentes aides à mettre en place, des solutions qui s’offrent à eux et à quelles structures s’adresser.
Où trouver de l’information ? Ma Boussole Aidants a pour ambition de centraliser toutes les informations utiles pour faciliter la vie des aidants. Dans la partie “Ma vie d’aidant” retrouvez des témoignages et articles sur les différentes solutions de répit poru ceux qui accompagnent un proche âgé ou malade, ainsi que les solutions de répit pour les proches d’une personne handicapée. Dans la catégorie “Mes solutions”, retrouvez toutes les structures qui proposent du répit (séjours de vacances, accueil temporaire, relayage etc.) à proximité de chez vous ou de votre proche.
Le déni
“Je ne suis pas aidant.e, je suis sa maman, je suis aimant.e.” C’est une déclaration souvent répétée par celles et ceux qui s’occupent d’un proche. Le terme “aidant”, est mal aimé des aidants familiaux parce qu’il suggère quelqu’un qui ferait ça par obligation professionnelle, or pour les proches aidants, c’est tout simplement par amour ou par devoir. “C’est parfois aussi une forme de déni pour ne pas regarder les choses en face. Parce qu’on veut considérer qu’il n’y a rien d’anormal, on s’efforce d’essayer de faire comme si tout allait bien et au final tout le monde finit par aller mal”, explique la psychologue.
La culpabilité
“La première fois que j’ai laissé mon fils, je me suis dit que je faisais une erreur, que j’étais une mauvaise mère. On s’inflige une mésestime de soi parce qu’on n’arrive pas à assumer. Et pourtant, on ne se rend pas compte de ce qu’on accomplit chaque jour. Même les pompiers, les infirmiers et les policiers ont le droit à des jours de répit”, raconte Céline Martinez. Un travail d’état des lieux de ses propres besoins et de sa fatigue est nécessaire à mettre en place dès le début. “Il faut vous dire que vous n’avez pas à 45 ans, à rester enfermé.e toute la journée avec une personne âgée de 90 ans qui ne peut plus se déplacer. Il y a des solutions pour distribuer l’aide de votre proche avec d’autres. Ca ne veut pas dire que vous ne l’aimez plus, simplement que vous faites attention à vous pour pouvoir lui apporter le meilleur”, ajoute la psychologue. Il ne s’agit pas de laisser son proche des semaines sans vous du jour au lendemain. Une phase de transition pour l’aidant, comme pour l’aidé doit avoir lieu avec une rencontre des personnes et structures qui vont prendre le relais, puis des tests de quelques heures et quelques jours afin de s’assurer que le fonctionnement convienne à tout le monde. Dans le cas où on n’ose pas aborder le sujet avec son proche ou assumer son besoin d’aide, il faut se faire aider par un psychologue ou une plateforme de répit.
La dignité
“Beaucoup se taisent et ne se plaignent pas par dignité. C’est quelque chose que l’on retrouve principalement chez les aidants âgés entre 80 et 90 ans aujourd’hui, à cause des valeurs culturelles historiques instruites chez la population des années 30-40 en France. Pour eux, c’est la vie, lorsqu’on va bien et qu’on s’occupe d’une personne fragilisée, on n’a pas à prendre du recul et chercher à faire autrement”, nous explique la professionnelle de santé. Ne pas s’autoriser ce recul, c’est encore une fois ne pas prendre conscience de l’ampleur de la tâche qu’on subit et risquer le burn-out. Aujourd’hui, il existe des solutions pour aider les aidants, il faut y avoir recours.
La peur que ça se passe mal
Quand on prend l’habitude d’assumer toutes les tâches pour l’autre et même parfois des soins médicaux, il est difficile de lâcher ensuite. Parce qu’on pense être le/la seule à faire la chose de la façon dont son proche est le plus à l’aise, qu’on le connait mieux que les autres ou par inquiétude tout simplement. Or, les aides à domicile et les infirmiers sont des professionnels. “On ne fait bien que ce qu’on sait bien faire et moins bien ce pourquoi on n’a pas été formés”, insiste la professionnelle de santé.
Le proche refuse de l’aide extérieure
C’est l’un des principaux obstacles à la mise en place d’aides ou au recours aux solutions de répit. Parce qu’il refuse de voir qu’il a besoin d’aide, parce qu’il ne veut pas d’étranger chez lui, parce qu’il a honte qu’une personne extérieure à sa famille vienne faire pour lui des tâches intimes... Il y a des tas de raisons qui peuvent pousser votre proche à refuser le relayage de son soutien à quelqu’un d’autre que vous. Pour le rendre plus à l’aise, il va falloir y aller petit à petit (d’où l’importance de comprendre la nécessité du répit dès le début de l’accompagnement), lui expliquer que vous ne pouvez pas tout faire seul.e, déconstruire ses craintes et mettre en place une phase de transition avec une rencontre des différents intervenants pour trouver les personnes qui conviennent et en débutant avec les interventions qui apportent une aide la moins intime possible (le ménage, l’assistance aux tâches administratives etc...).
Mettre en place du répit
Faire le point sur sa situation
Avant de pouvoir identifier les solutions de répit qu’il vous faut, un véritable travail d’analyse sur votre situation est nécessaire. “La première étape, c'est d’arriver à s’identifier comme un aidant, précise Céline Martinez. Ensuite, on entame un véritable travail d’auto-analyse sur ses propres besoins, trop souvent relégués tout en bas de l’échelle par les aidants.” Plusieurs structures dédiées locales peuvent vous aider à évaluer vos besoins et ceux de votre proche.
Que faire si le proche refuse de l’aide extérieure ?
Tout d’abord, parlez en vraiment avec votre proche. Beaucoup d’aidants n’abordent pas la discussion et s’imaginent d’avance très bien connaître leur proche, que ça ne lui plaira pas ou qu’il risque de le prendre mal. La psychologue met d’ailleurs en garde contre le risque de prendre cette supposition comme une excuse pour échapper au fait de devoir combattre sa culpabilité. L’aidant va dire ‘c’est normal, il m’adore, c’est moi qui assume tout’. C’est un raisonnement dangereux. Une forme de déni qui pousse à ignorer ses propres besoins au risque de craquer plus tard.
Si assumer et le dire est trop compliqué, il ne faut pas hésiter à se faire aider par un psychologue. Dans le cas où la discussion a été calmement abordée, que l’aidé a conscience de la fatigue de l’aidant, mais qu’il refuse de voir tout ce que demande d’être aidant, on peut faire intervenir un médiateur. Il s’agit de professionnels habitués aux conflits familiaux, particulièrement dans le couple aidants/aidés, qui peut vous aider à entamer un dialogue serein et mettre en place des solutions.